Institut des Territoires Coopératifs

10 Juin, Ardelaine (Saint Pierreville)

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5ème rencontre de notre itinérance avec Ardelaine : une histoire devenue emblématique du développement territorial. Aujourd’hui, Ardelaine est présentée sur le site touristique du département de l’Ardèche comme “une coopérative de développement local qui propose 3 parcours de visites guidées, une boutique de vente directe de vêtements/couettes/matelas réalisés dans ses ateliers, des stages, un café-librairie, un restaurant locavore…”.

Si Ardelaine est maintenant présentée comme une “coopérative de territoire”, l’histoire commence plus simplement : “Quand nous avons découvert que les éleveurs ardéchois jetaient leur laine parce qu’ils ne trouvaient plus d’acheteur et que la dernière filature du département tombait en ruines… on a eu envie de réagir et de prouver qu’une alternative était possible !”. Comment passe-t-on d’on des ruines (qu’il s’agisse des bâtiments, des outils de production, des savoir-faire…) à une coopérative de production, un restaurant, un musée, un outil de transformation alimentaire mutualisé… Bref, à une dynamique de développement territorial ? Béatrice Barras raconte l’histoire dans “Moutons rebelles, Ardelaine la fibre développement local”, publié aux éditions REPAS dans la collection “Pratiques utopiques”. Et comme le souligne Jean-François Draperi, rédacteur en chef de RECMA – revue des études coopératives mutualistes et associatives – qui signe la préface : Ce que nous propose Ardelaine, ce n’est pas d’affiner notre regard critique sur les incohérences du monde économique et social, c’est de trouver les voies pour se libérer de leurs influences”.

Autant dire que notre soirée et notre journée avec l’équipe d’Ardelaine fut riche et passionnante.

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Comme à chaque rencontre, nous en avons tiré de multiples enseignements qui alimentent notre travail sur les principes d’action de la coopération. Citons-en trois :

Parmi les sujets évoqués avec l’équipe qui nourrissent les principes d’action :

Une distinction fondamentale, qui dépasse la simple sémantique, entre “faire pour” (pour son territoire, pour une filière, pour les partenaires, pour les voisins, pour…) et “faire avec”. La capacité à “faire avec” apparait comme essentielle dans les projets de coopération que nous rencontrons. Elle se décline à deux niveaux : faire avec ce qui est, et faire avec l’autre. Entre “Faire pour” et “faire avec”, ni les motivations, ni le processus d’interaction, ni les résultats ne sont les mêmes. Le chemin de la coopération passe par apprendre à “faire avec”. Comment apprendre à “faire avec” les situations qui se présentent ? A “faire avec” l’autre ? Comment passer du “faire pour” qui peut déresponsabiliser au “faire avec” qui associe et implique ?

Un danger : celui de devenir une expérience à programmer. Vouloir reproduire le résultat sans chercher à comprendre et reproduire les comportements et les attitudes qui ont permis le résultat. Souvent, la réalisation cache le chemin emprunté. Comment éviter que l’histoire que l’on raconte oublie le processus et ne garde que le résultat ? Comment rester centrés sur les manières d’être et de faire ? Comment les identifier et comment les développer ?

Une réflexion, sur la question de la modélisation. Le même terme est utilisé pour désigner des choses qui n’ont rien à voir. L’être humain apprend par modélisation : nous apprenons à marcher en voyant l’autre marcher. Aujourd’hui, on a tendance à comprendre ce terme que dans son aspect “modélisation industrielle” qui consiste à séparer des tâches, à couper-coller, à définir un processus qui s’applique et s’impose à tous. Au contraire, dans la “modélisation apprentissage”, je construis mon propre apprentissage par le mimétisme (l’imitation de l’autre), puis l’appropriation. Dans le premier cas, l’autre modélise pour moi. Dans le second, je modélise l’autre pour apprendre. Le terme utilisé est le même : modéliser. Comment enseigner à chacun la capacité à modéliser tout en évitant soigneusement la mise en place de “modèles” ?

Ardelaine (Saint Pierreville)

Domaine : Economie du territoire
Structure : SA SCOP
Lien : http://www.ardelaine.fr

La SCOP Ardelaine est aujourd’hui une coopérative qui regroupe une grande diversité d’activités.

Le projet d’origine a démarré en 1975 et la coopérative a été créée en 1982, soit il y a 35 ans. Il s’agissait de redonner vie à une ancienne filature de laines située en centre Ardèche en « restructurant une filière laine, dans un objectif de développement local et écologique ». La SCOP s’est développée très progressivement en créant 1 à deux emplois par an. Ses métiers : tonte des moutons, collecte des laines, lavage, cardage, fabrication d’articles de literie (matelas, couettes etc) puis fabrication de vêtements, commercialisation en vente directe sur place, sur les foires et salons, puis par correspondance et internet.

A partir de 1990 Ardelaine a développé des activités dans le domaine touristique et culturel : création d’un, puis deux (en 2000) parcours muséographiques, puis un café –librairie en 2010, générant une fréquentation de 20 000 visiteurs en moyenne par an. Tous les 10 ans, elle a réalisé un investissement structurant pour son développement (sous forme de construction de bâtiments le plus souvent, pour accueillir une nouvelle activité). A partir de 2010 elle élargit son action de valorisation des ressources locales à l’alimentaire : création d’un restaurant, puis d’une conserverie (développée par une association partenaire).

Ses Activités sont réparties sur plusieurs établissements : majoritairement à Saint-Pierreville, petit village de la moyenne montagne ardéchoise, mais aussi à Valence où se trouve son atelier de confection des vêtements et à Roanne où se trouve son atelier de tricotage.

Par ailleurs, elle a développé de multiples coopérations durables avec des entreprises du textile, des entreprises touristiques ou des fournisseurs dans l’alimentaire. L’impact indirect de ses activités est important avec un souci de le maintenir toujours dans une logique de proximité et de qualité écologique. Agissant sur la plupart des maillons de la filière laine, des éleveurs aux clients, elle a cherché à associer toutes les parties prenantes par des contrats et relations de longue durée en amont, et par le concept de réseau de « clients solidaires » en aval. 

En 2016, la SCOP Ardelaine a valorisé la laine de 200 éleveurs qui représente 57 tonnes de matière première issue de 52 000 moutons.  Elle a généré un chiffre d’affaires de 2 137 K€ par les ventes de ses produits, et 40 équivalents temps plein auxquels il faut ajouter 10 autres temps pleins dans le domaine alimentaire (portés par des structures partenaires).

Elle participe à des réseaux professionnels, mais aussi des réseaux de l’économie sociale ou de l’éducation populaire. On peut dire que sa démarche se situe sur le plan économique, social et culturel.  Elle se définit aujourd’hui comme une « coopérative de territoire » orientant son rôle globalement sur le développement territorial, et non uniquement sur la filière laine ou le tourisme. Elle se vit aussi comme un laboratoire expérimental dont l’expérience de 40 années de fonctionnement permet de tirer un certain nombre d’enseignements.

Quelques retours de nos hôtes, à l’issue de la rencontre :

  • « Les questions sont toujours ce qu’il y a de plus intéressant. J’ai apprécié de replonger, de revenir aux raisons d’être. C’est précieux, ce temps de distanciation, de vérification. Il permet de trouver de nouveaux espaces de jeux. »
  • « C’est très rare de nous rencontrer sur ces histoires-là. C’est pourtant la substantifique moelle. »
  • « Nous avons vécu un moment d’Université Populaire. Il faut réinventer l’Education Populaire du XXIème siècle »

L'InsTerCoop est un laboratoire d’action-recherche sur le processus coopératif, et un centre de ressources et de ressourcement au service des personnes, des organisations et des territoires pour croître en maturité coopérative et faire de la coopération une source de développement et d’épanouissement.