15 Juin, Le Viel Audon (Balazuc, Ardèche)
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Le Viel Audon : Village coopératif ! La brouette est prometteuse ;-). Nous sommes heureux d’y être, nous souvenant des mots de l’écrivain Alain Damasio : “De mon nom, le Viel Audon, vous n’avez retenu que les syllabes : vie, aile (des oiseaux), l’eau et surtout cette note finale, le don, qui résonne, comme un tambour de peau, de chacun des gestes que vous faites ici ensemble.” Une histoire de vie, d’aile, d’eau et de don ne peut qu’être passionnante.
Le Viel Audon (Balazuc)
Domaine : Village coopératif
Structure : Multiples
Lien : http://www.levielaudon.org
Nous avons marché 3 jours pour relier Saint Pierreville à Balazuc, mais à l’origine du Viel Audon, on retrouve Béatrice et Gérard Barras (et d’autres), qui au début des années 70, découvrent les ruines abandonnées du hameau et décident de lui redonner vie. “C’est le début d’une aventure qui verra passer sur ce « chantier ouvert au public » plus de 10 000 personnes qui apporteront chacune une pierre à l’édifice. Mais le Viel Audon n’est pas seulement un lieu où l’on construit. C’est aussi un lieu où l’on se construit. Le chantier devient école et les jeunes qui passent y expérimentent un « chemin de faire » pour mener leur propre route. Le hameau blotti dans les gorges de l’Ardèche, toujours inaccessible en voiture, bruissant d’une vie riche et innovante, recèle un « trésor » qu’il partage avec tous ses visiteurs.” (extrait de la 4ème de couverture de “Chantier Ouvert au Public”, de Béatrice Barras, publié aux Editions REPAS.)
Aujourd’hui, le Viel Audon est constitué de plusieurs structures : les chantiers, la ferme, le bateleur (association de valorisation des ressources locales, vivrières et culturelles), le MAT (Centre d’éducation à l’environnement, au développement durable et à la coopération), les gîtes…
Nous passons au Viel Audon un peu plus de temps qu’à nos autres lieux de rencontre, car nous en profitons pour échanger avec Yann qui outre son implication au Viel Audon, anime le compagnonnage alternatif et solidaire au sein du réseau REPAS, un réseau d’entreprises qui se reconnaît dans le champ de l’économie alternative et solidaire et expérimente de nouveaux rapports au travail, des comportements financiers plus éthiques et plus humains et de nouvelles relations producteurs – consommateurs.
Parmi les sujets évoqués avec l’équipe qui nourrissent les principes d’action :
De la soirée et de la journée d’échanges avec l’équipe du Viel Audon, nous repartons avec quelques sujets clés. Soulignons que l’histoire du Viel Audon a commencé il y a plus de 40 ans. C’est donc dans cette perspective de durée et de longévité, et de ses corollaires, renouvellement et transmission, que l’enseignement que nous en tirons s’inscrit.
Évidemment, lorsque la bande de copains décide en ’70 de redonner vie à ce village d’Ardèche, leur vision n’avait rien à voir avec ce que le projet est aujourd’hui. En fait, il résiste même à cette époque à figer une vision trop précise du projet. Lorsque les chantiers participatifs prennent de l’ampleur et qu’on leur demande d’affiner leur projet, il ne le précise pas plus que “redonner vie au village”. Le Viel Audon, ce n’est pas un projet planifié, avec une stratégie, un objectif à atteindre, et un plan de projet. C’est au contraire un projet qui se construit de façon “organique” : pas de projet à long terme, pas de plan sur la comète, mais une capacité permanente à faire face aux situations rencontrées, à “faire avec ” (cf. rencontre avec Ardelaine), à construire le projet pas-à-pas, à définir les formes et les contours du projet au fur et à mesure du développement de sa vie. L’histoire du Viel Audon (et de tant de projets dits “réussis” que nous avons rencontrés) est en ce sens totalement différente des schémas de créations d’entreprises que l’on incite tout entrepreneur à suivre, en développant à l’avance un positionnement stratégique, des formes prédéfinies, et des réponses théoriques à des questions qui ne se posent pas encore. Cet écart entre les réussites observées et les recommandations pour réussir ne cesse de nous interroger…
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En prolongement de la remarque ci-dessus, nos échanges nous amènent à distinguer l’anticipation de la projection. Retour à l’étymologie : projeter, c’est “jeter au-devant”. Anticiper, c’est “prendre les devants”. En d’autres termes, la projection amène à forger une image désirée du futur, et à prévoir les étapes pour arriver à construire cette image. Anticiper est en quelque sorte l’action inverse : il s’agit d’amener à soi ce dont on va avoir besoin, de se préparer à faire face aux situations qui se produiront. Au fur et à mesure de nos itinérances, nous collectons des exemples de projections paralysantes, et au contraire, d’anticipations créatrices. Comment faire évoluer les méthodologies de conduire de projet pour intégrer cette distinction ? Éviter les projections qui empêchent de saisir les événements présents ?
Enfin, les échanges au Viel Audon nous ont amenés à creuser la question de la transmission. Nous rencontrons souvent des collectifs en mal de renouvellement, avec des mécanismes d’usure voire même d’épuisement. Comment faire pour motiver une nouvelle génération à écrire la suite de l’histoire ? Comment l’amener en responsabilité et en capacité à le faire ? Nous voyons une piste intéressante autour d’une idée simple. Souvent, les “anciens” tentent d’apporter des “réponses” à la nouvelle génération (Nous avons fait ceci, pour telles et telles raisons…). Ne vaudrait-il mieux pas partager les questions ? (Face à telle situation, voici les questions que nous nous sommes posées…) Ne serait-ce plus motivant d’inviter une nouvelle génération à trouver ses propres réponses ? Ne serait-ce pas plus efficace pour l’aider à acquérir les savoir-être et savoir-agir indispensable à cette capacité d’anticipation si nécessaire ?
Quelques retours de nos hôtes, à l’issue de la rencontre :
- « La possibilité d’entendre les avis de chacun. Finalement, ça ne nous est jamais arrivé. »
- « Je comprends que les inconvénients, les difficultés de nos projets ont leur utilité ! »
- « L’intérêt de porte un autre regard sur les avis divergents »
- « L’exploration des côtés positifs, des intérêts à échouer… »
Surtout n’apportez pas de réponses !
Lors de notre passage au Viel Audon, une équipe de compagnons du mouvement Colibris y était également présente. Leur visite s’inscrivait dans un parcours de formation afin d’être en capacité d’accompagner les projets de création d’Oasis, ces nouveaux espaces de vie capables de répondre aux besoins humains de nos sociétés contemporaines. A la fin de la présentation du Viel Audon, un participant a posé une question à Yann Sourbier, l’un des piliers du lieu : « Quel conseil nous donnerais-tu ? ».
La réponse de Yann a fusée et laissée perplexe bon nombre d’auditeurs : « Surtout, n’apportez pas de réponses ». Mais à quoi peut servir un accompagnement s’il n’apporte pas de réponses ?
Lors de nos itinérances, nous avons beaucoup écouté de participants à des habitats groupés. Beaucoup ont été très critiques des accompagnements extérieurs dont ils ont pu bénéficier. Certains ont même été jusqu’à nous dire que parmi les projets qu’ils connaissaient, y compris les leurs, ceux qui n’avaient pas été portés à leur terme étaient ceux qui avaient bénéficié d’un accompagnement. Sans être bien sûr la seule raison de l’abandon, le constat est sévère.
Nous avons longuement croisé nos expériences de compagnonnage avec Yann et portons le même diagnostic sur ce difficile travail d’accompagnement. Parmi les compétences-clés pour réussir la mise en œuvre d’un habitat groupé (ou de tout projet collectif), il y en a deux essentielles : la capacité à s’emparer d’une situation difficile lorsqu’elle se présente, et la capacité à anticiper sans se projeter, en restant ancré dans le présent.
Lorsque l’accompagnement apporte des réponses aux questions que les groupes rencontrent, il les empêche de s’emparer du problème, de chercher eux-mêmes les réponses et de traverser collectivement la période de turbulence. Le groupe ne construit alors pas sa capacité d’apprentissage et de développement de sa propre responsabilité.
Lorsque l’accompagnement préconise d’apporter réponses à des questions que le groupe ne rencontre pas encore, il les détourne du présent. Combien avons-nous vu de collectifs qui travaillaient par exemple sur un règlement intérieur avant même toute action concrète et opérationnelle. L’accompagnement doit-il apporter un modèle ? Doit-il apporter des réponses ? Ou doit-il amener chacun à s’emparer des questions et à développer ses capacités à construire les réponses ?
Le sentier des cades
Nous quittons le Viel Audon par le petit sentier qui nous sort des gorges de l’Ardèche. En haut, nous sommes sur un plateau karstique, où la végétation a développé une stratégie spécifique pour s’adapter à la sécheresse. Le sentier est parsemé de cades épineux à l’écorce odorante, de buis aux feuilles vernissées, de thym parfumé…
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