27 mai – Emile Guillaumin
L’étape du jour nous emmène de Moulins à Souvigny, où nous visitons l’église prieurale St-Pierre et St-Paul de Souvigny, grand site clunisien et plus grand édifice religieux du département, qui abrite les chapelles funéraires des ducs de Bourbon. Le soir, nous rejoignons Saint-Menoux et Agonges pour la rencontre informelle avec les acteurs de la Communauté de Communes en Bocage Bourbonnais. Agonges est un village de 300 habitants environ… où l’on trouve pas moins de 13 châteaux, habités (à l’exception d’un seul) et donc entretenus. Au total, on recense plus de 500 châteaux dans le Bourbonnais. Entré dans la famille royale au XIIIe siècle, la position géographique du Bourbonnais, entre les duchés d’Aquitaine et d’Auvergne, intéresse le pouvoir royal. Les Bourbons joueront un rôle majeur dans l’histoire de France qui explique la richesse du patrimoine bâti historique de la région.
Mais loin des châteaux, c’est un autre personnage majeur du territoire dont nous entendrons parler à plusieurs reprises lors de notre séjour : Emile Guillaumin, le « Sage d’Ygrande ». Guillaumin est un écrivain-paysan. S’il dit de lui « je n’ai point eu d’aventures extraordinaires », il a néanmoins créé le premier syndicat paysan pour défendre les métayers des grands propriétaires, et écrit plusieurs romans dont « La vie d’un simple, mémoire d’un métayer » qui obtient quelques voix au prix Goncourt de 1904.
Émile Guillaumin est une des figures emblématiques du Bourbonnais, acteur des évolutions sociologiques en comptant parmi les fondateurs du syndicalisme agraire. Lors d’une réunion du syndicat de Bourbon l’Archambault en 1905, il résume son programme est trois vers :
Vivre tout simplement sa vie,
Mais la garder inasservie.Emile Guillaumin
Guillaumin se donne deux objectifs : faire connaître le monde paysan, et la prise de conscience du monde paysan par lui-même. Plus d’un siècle plus tard, nous constatons son influence sur le territoire. Par exemple, les fondateurs du MODEF, Mouvement de défense des exploitants familiaux, syndicat agricole né en 1959 et implanté dans le centre, le sud-ouest et le sud-est, se revendiqueront des luttes des métayers de l’Allier autour de 1900 ou de celles des viticulteurs du Midi de 1907, et lors de nos rencontres sur le territoire, nous rencontrerons des agriculteurs adhérents du MODEF qui nous parlerons de Guillaumin avec passion.
Touché par sa poésie, nous vous proposons quelques lignes tirées de « La vie d’un simple ». Elles résonnent particulièrement pour nous, voyageurs qui précisément avons la « faculté de s’extasier devant des paysages offrant tous les contrastes ». Cette description des paysages du Bourbonnais que nous traversons aujourd’hui montrent une remarquable aptitude à apprécier son paysage familier et quotidien, à lire son implicite, à en être fier.
Le fameux « Connais-toi-toi-même » repris par Socrate, qui renvoie à la nécessaire introspection, vaut aussi pour apprendre à connaître l’autre dans ce qu’il vit (ce que Morin appelle la compréhension humaine), ainsi que pour l’indispensable connaissance (et appréciation) de son milieu, de son environnement. Interroger ce triptyque, personnes-collectifs-territoire, est l’une des clés de la maturité coopérative.
Les premiers jours de notre installation, ces paysages m’apparurent par bribes, ouatés de brouillards. Je les vis ensuite dans leur décor hivernal, alors que les cultures sont nues, lavées par les pluies ou pailletées de gel, et que les bouchures sont comme des bordures de deuil avec les fioritures de leurs arbres-squelettes, — puis tout blancs sous la neige, déguisés comme pour une mascarade. Je les vis s’éveiller frissonnants aux brises attiédies d’avril, étaler peu à peu toutes leurs magnificences, fleurs blanches et verdures fraîches. Je les vis au grand soleil de l’été, alors que les moissons mettent leur note blonde dans les verdures accentuées, paraître anéantis comme quelqu’un qui a bien sommeil. Je les vis à l’époque où les feuilles prennent ces tons roux qui sont pour elles le temps des cheveux blancs — précédant de peu de jours leur contact avec la terre d’où tout vient et où tout retourne… Je les vis s’éclairer gais et pimpants sous les aubes douces et s’enténébrer lentement dans la pourpre des beaux soirs. Je les vis enfin, comme dans un décor de rêve, baignant dans le vague mystérieux des clartés lunaires. Et combien de fois, les contemplant, ne me suis-je pas dit :
« Il y a des gens qui voyagent, qui s’en vont bien loin par ambition, nécessité ou plaisir, pour satisfaire leurs goûts ou parce qu’on les y force ; ils ont la faculté de s’extasier devant des paysages offrant tous les contrastes. Mais combien d’autres ne voient jamais que les mêmes ! Pour combien la vie ne tient-elle pas toute dans un vallon comme celui-ci, — et même dans une seule des ondulations, dans un seul des replis de ce vallon ! Combien de gens, au travers des âges, ont grandi, aimé, souffert, dans chacune des habitations qu’il m’est donné de voir de mon grenier, ou dans celles qui les ont précédées sur l’étendue de cette campagne fertile, sans être jamais allés jusqu’à l’un des points où le ciel s’abaisse ! »
Cette pensée me consolait de ne rien connaître moi-même hors des deux cantons de Souvigny et de Bourbon. J’en vins à trouver du charme aux décors variés de mon paysage familier. J’éprouvais même une certaine fierté d’avoir la jouissance de cet horizon vaste et je plaignais les habitants des parties basses.
Emile Guillaumin, in La vie d’un simple
Voir la page Wikipédia sur Emile Guillaumin et un autre document plus complet sur l’Astrolabe. Et quelques images, glanées sur le chemin :
- Au départ de Moulins, le pont sur l’Allier
- Eglise Saint Martin à Coulandon
- Coquelicots (un retour de la biodiversité ?)
- Bocage
- Souvigny