3 mai – Quand le projet touche l’intime
Souvent, les collectifs pensent que le projet, parce qu’il pourrait bénéficier d’une pleine coopération entre ses membres, va permettre automatiquement le développement de cette coopération. C’est mettre sur les épaules du projet une bien lourde charge, et la réalité est que cela ne fonctionne pas, ou du moins, pas systématiquement et jamais durablement.
Lorsqu’un projet est considéré comme important, chacun conçoit qu’il soit nécessaire de « conduire le projet », c’est-à-dire de réfléchir aux conditions de son bon déroulement, de les mettre en œuvre, et de s’assurer qu’elles soient effectives sur toute la durée du projet.
Par la même logique, si l’on considère que la coopération au sein du collectif est importante, chacun devrait concevoir qu’il soit nécessaire de soigner la « maturité coopérative » du collectif, c’est-à-dire de s’assurer que les membres, individuellement et collectivement, développent des aptitudes durables qui leur permettront de coopérer.
Au sein des 50+ collectifs que l’Observatoire de l’Implicite a rencontrés, nous avons été attentifs à voir si ces collectifs nourrissaient autant le processus coopératif, que le projet en lui-même. Il nous est apparu que plus le projet touchait l’intime des personnes, c’est-à-dire ce qui correspond à leur « réalité profonde, à leur essence », plus elles y accordaient du temps et de l’attention. À l’inverse, plus la part collective du projet était éloignée de cette intimité profonde, moins elles étaient enclines à accorder du temps et du soin au processus coopératif.
C’est ainsi qu’on a pu observer des pratiques très poussées de croissance en maturité coopérative dans les habitats partagés (habitats coopératifs, participatifs, colocations…). Il en est de même, lorsque l’objet même du projet touche des valeurs essentielles des personnes, par exemple dans le domaine associatif. Dans le monde du travail, nous observons les acteurs de CUMA se saisir, dans une certaine mesure, de cette dimension, la frontière entre la vie privée et la vie professionnelle (frontière temporelle, spatiale…) étant particulièrement floue et poreuse dans le monde agricole. En ce qui concerne les coopératives (SCOP, CAE), il y a là un défi. Au sein des SCOP que nous avons rencontrées, l’œuvre commune peut-être extrêmement liée à l’intimité des personnes, par exemple lors de la reprise de l’entreprise par ses salariés. Mais peu à peu, ce lien peut se distendre dans le temps, et l’attention au processus coopératif en souffrir. Dans les Coopératives d’Activités et d’Emploi, il s’agit d’un réel défi : elles réunissent des entrepreneurs dont la première motivation est de trouver là des ressources pour faciliter la mise en œuvre de leur projet personnel. Le développement d’un processus coopératif mature ira de pair avec l’émergence d’une œuvre commune pensée et construire par les membres de la CAE. Ce défi est encore plus prégnant pour les espaces de co-working (voir notre chronique du 1 mai).
En ce qui concerne les tiers-lieux, ils sont très divers : certains sont des espaces de co-working, d’autres sont construits autour d’un état d’esprit qui constitue en lui-même une œuvre commune. Dans ce dernier cas, les acteurs auront à cœur d’y développer la maturité coopérative.