Institut des Territoires Coopératifs

8 novembre 2018 – Mobilité et ruralité

L’immersion dans le territoire et les rencontres que nous y faisons, nous permettent d’en développer une compréhension humaine. Au-delà des statistiques qui peuvent le décrire, nous rencontrons des situations, vécues par ses habitants qui nous éclairent. La mobilité fait partie de ces sujets dont notre compréhension intellectuelle ne peut qu’être incomplète, voire erronée, tant qu’elle n’intègre pas l’expérience vécue.

Prenons 4 situations, tirées de notre périple à ce jour.

Plutôt que d’avoir des bus vides, de plus en plus de territoires développent une offre de TAD : Transport à la Demande. Elle peut être de nature différente : parfois, il s’agit d’une ligne dont le tracé et les horaires sont fixes : les arrêts seront marqués que si vous réservez votre parcours quelques heures auparavant. Dans d’autres cas, le parcours n’est pas fixé : vous réserver un bus à des arrêts et des horaires prédéfinis. Nous imaginons que le tracé est conçu en fonction de ces réservations. Cette solution a l’avantage de permettre une desserte de nombreux petits villages qui ne pourraient être sur un parcours prédéfini.

Ces solutions sont intéressantes. Mais de ce que nous avons pu voir, elles ne sont disponibles que dans une amplitude horaire extrême, avec le plus souvent un passage le matin entre 6h et 7h, et un autre le soir entre 19h et 20h. Aller en ville faire une course ou une démarche administrative prendra ainsi une journée complète et celui qui l’utilisera pour rejoindre son lieu de stage ou de travail s’imposera une journée de 14h, avec des conséquences fortes sur son organisation et sa qualité de vie.

Deuxième situation avec les TER : A Joinville par exemple, le train de Saint Dizier de 17h30 a été supprimé, au profit du TER de 16h30, qui permettait une synchronisation avec le TGV de Culmont-Chalindrey… gare où désormais, le TGV ne s’arrête plus ! Les salariés de Saint Dizier ne peuvent prendre le train de 16h30 pour Joinville, trop tôt. Ils prennent donc leur voiture (pour ceux qui en ont une, et ont le permis de conduire). Le train de 16h30 est presque vide… Peut-être finira-t-il par être supprimé à son tour !

David est chômeur de longue durée. Suite à une maladie professionnelle, il est devenu inapte à l’exercice de son métier. Il trouve une formation longue qui l’intéresse, débouchant sur un secteur pour lequel il y a des dispositions réelles et des perspectives professionnelles sérieuses. Il est prêt à quitter sa famille la semaine. Il trouve un financement pour son logement sur place. Mais pour l’instant, tout est au point mort car il n’y a pas de solution à la question du transport et de son financement.

Dernière situation : A Messigny et Ventoux (Côte d’Or), 4 ou 5 jeunes de 14 à 16 ans environ attendent le bus pour Dijon, avec leur skate sous le bras. Nous sommes en période de vacances scolaires. Certains des gamins chuchotent : « J’espère qu’on va pouvoir monter… ». Le bus arrive, la conductrice ne les laissent pas monter à bord. La raison ? Les cartes d’accès au bus ne sont valides qu’en période scolaire. L’une des gamines, qui peut payer son billet monte et part passer l’après-midi à Dijon. Les autres redescendent et tournent en rond… Que vont faire ces gamins cet après-midi ? Qu’auraient-ils pu faire à Dijon à la place ? Quel serait le manque à gagner pour la collectivité de laisser les passes transports actifs en période de vacances ? Les jeunes ne sont-ils pas plus que des scolaires, mais aussi des citoyens qui ont besoin de circuler sur le territoire ? De toute façon, le bus circule puisque c’est une ligne régulière. De toute évidence, la logique qui prévaut à de telles règles n’en comprend pas les conséquences. Il y a fort à parier que ces jeunes vont développer l’idée d’un territoire où il n’y a pas grand-chose à faire, dans lequel on est enfermé, et qu’ils n’auront de cesse de quitter dès qu’ils le pourront. D’autres le quitteront pour y revenir plus tard. Eux, y reviendront-ils ?

Notre itinérance reste deux semaines en Haute-Marne, l’un des 3 départements métropolitains (avec la Nièvre et l’Indre) qui perdent le plus de population chaque année : -0,6% (Source Observatoire des Territoires, CGET). Un cercle vicieux est en place : chute de la démographie – réduction de l’offre de mobilité – développement en berne – exode, laissant sur place les populations les plus fragiles, le devenant ainsi encore plus.

L’offre de mobilité est très disparate suivant les communautés de communes et leur capacité financière. Elle est organisée sur les contours institutionnels et pas réellement alignée sur les bassins de vie et d’emploi et ainsi sur les besoins réels des habitants. Elle est partout largement insuffisante et plutôt en réduction…

Pour penser autrement l’organisation de la mobilité et en inventer les nouvelles formes, il est essentiel d’accéder à la compréhension humaine du territoire et de ses habitants. Ce n’est pas même le développement des territoires ruraux qui est en jeu mais leur survie.


Dernières photos de l’itinérance, à Joinville

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