Institut des Territoires Coopératifs

Maturité coopérative

Le corpus méthodologique « Maturité Coopérative » © 2017 est publié par Institut des Territoires Coopératifs (InsTerCoop) sous licence CC BY-NC-ND 4.0

En chemin vers la Maturité Coopérative

La coopération est plus que jamais, dans tous les esprits et dans tous les domaines. Il faut désormais tout coconstruire : les territoires, la ville, la gouvernance, le projet… Ces injonctions à la coopération laissent accroire qu’il suffit de la décréter pour qu’elle existe, oubliant l’impact de nos apprentissages largement fondés sur la compétition et la concurrence. Pour autant, si la coopération suscite un tel intérêt, c’est parce qu’elle permet effectivement de relever des défis, tels que la prise en compte de l’altérité, de la complexité, et la question cruciale de l’émancipation des individus.

Dans cette période de transitions multiples, engageons aussi une transition anthropologique et mettons-nous en chemin vers la maturité coopérative !

Ce que coopérer veut dire

Il existe une confusion entre des concepts très différents. Consultation, participation, mutualisation, alliance, collaboration ou concertation ne sont pas coopération. Le mot coopération est construit étymologiquement, autour d’un mot latin fort de sens, opera, pluriel de opus, « œuvre ».

Coopérer, c’est être co-auteur d’une œuvre commune.

Dès 2015, Inovane lançait un programme à destination des entreprises pour les amener à passer « De la collaboration à la coopération ». Or, encore aujourd’hui, il est fréquent d’entendre des acteurs utiliser ces deux mots comme s’ils voulaient dire la même chose.

Nous avons rappelé plus haut que l’étymologie nous renseigne. Dans la collaboration, c’est le travail, le labeur, qui est au centre, et qui est l’objet d’un partage. Collaborer, c’est « travailler avec ». Dans la coopération, c’est l’oeuvre qui est centrale. Alors que le travail vise à produire, l’œuvre vise à élever, à grandir. Lorsqu’un artisan réalise son chef-d’œuvre pour devenir compagnon, c’est un long chemin qui vise non seulement à créer une oeuvre remarquable, mais surtout, ce faisant, à parfaire son geste pour en atteindre la maîtrise aboutie.  

Passer de la collaboration à la coopération, c’est donc passer d’une logique de travail et de labeur à une logique d’œuvre, d’une logique de dépendance à une logique de déploiement.  On collabore pour faire, on coopère pour apprendre et grandir.

Eloi Laurent résume cette idée en disant « on collabore pour faire, on coopère pour apprendre »[1] , et un peu plus loin « la coopération rend les personnes pédagogues les unes pour les autres ». Dans le film documentaire « Entre les plis« , Anthony le dit d’une manière merveilleusement simple et belle : en coopération, « on grandit des autres ».

La coopération devient alors un vecteur d’émancipation. Les protagonistes de la coopération ne sont pas de simples acteurs dont la seule fonction serait d’agir, de faire, mais des co-auteurs de l’œuvre commune, qui grandissent en même temps qu’ils l’élaborent et la font grandir. C’est pourquoi l’œuvre coopérative ne peut pas être entièrement planifiée à l’avance. Ainsi, si dans la collaboration le tout est, au mieux, égal à la somme des parties, la promesse coopérative est de faire du tout un ensemble supérieur à la somme des parties.

Maturité coopérative – Définition

Pour comprendre ce qui fait coopération, l’InsTerCoop a créé l’Observatoire de l’Implicite : un protocole d’action-recherche qui part de l’action de collectifs, constitués ou non et dans tous les domaines, car c’est toujours « celui qui fait, qui sait ». La démarche est phénoménologique et maïeutique : l’objectif est d’amener ces praticiens à une réflexivité qui leur permet d’explorer, de formuler leur expérience de coopération et de construire une connaissance à partir de l’expérience vécue.

Ces rencontres se font lors de longues itinérances à pied sur plusieurs semaines. La marche permet de s’imprégner du territoire. Elle donne le temps à sa découverte, à son appropriation sensible, ainsi qu’à l’introspection nécessaire pour sentir, comprendre et relier les interactions entre le territoire, le collectif et l’individu.

Les 7 itinérances de l’Observatoire de l’Implicite (plus de 100 collectifs, soit près de 1000 personnes y ont contribué) nous ont permis de conceptualiser les pratiques coopératives implicites vécues par les personnes et les organisations.

 

C’est ce corpus méthodologique que nous nommons « maturité coopérative ».

Définition
Nous définissons la maturité coopérative comme la capacité individuelle, collective et territoriale, à développer des aptitudes coopératives durables et inconditionnelles (qui ne dépendent ni du contexte, ni de la situation, ni des personnes). C’est une compétence à développer pour parfaire son « geste coopératif ».

Le concept de maturité coopérative repose sur :

  • 1 définition de la coopération (« Etre co-auteur d’une oeuvre commune »)
  • 4 révélateurs de maturité coopérative
  • 5 fondamentaux à la source de la coopération
  • 9 temps qui s’entrecroisent et se nourrissent les uns les autres pour nourrir le processus coopératif
  • 12 principes d’action, principes « dialogiques » qui éprouvent le processus

Mûrir, c’est atteindre son plein développement, son plein épanouissement. C’est le terme qui nous a semblé le plus approprié pour décrire la solidité qu’un processus coopératif permet d’atteindre.

4 révélateurs de maturité coopérative

Les collectifs à forte maturité coopérative ont au moins 4 caractéristiques clés, révélatrices de leur maturité.

  • Ce sont des écosystèmes apprenants : leurs membres se considèrent tous à la fois sachants et apprenants. Ils se nourrissent constamment les uns les autres.
  • Il n’y a pas de leader au sens classique du terme. Le leadership y est contextuel, dynamique et partagé. La coopération joue alors un véritable rôle d’encapacitation et d’émancipation des individus.
  • La coopération y est inconditionnelle. Coopérer ne signifie pas être d’accord et coopération n’implique pas sympathie ! Au contraire, la coopération est l’art de savoir vivre le désaccord. Lorsque cet art est maîtrisé, elle s’exerce aussi bien à l’intérieur du collectif qu’envers les tiers, dans des coopérations ouvertes.
  • La coopération suggère à la fois la réalisation de l’œuvre et le plein épanouissement de ses auteurs. C’est pour cela que la coopération est joyeuse. Dans ces collectifs, on rencontre des personnes dont émanent à la fois force, tranquillité et sérénité.

5 fondamentaux à la source de la coopération

Les 3 premiers fondamentaux sont déjà abordés plus en détail dans le 1er pilier du Corpus InsTerCoop sur la compréhension humaine.

La coopération nait et s’entretient entre des personnes.

La coopération se fonde sur l’interrelation entre des personnes ; pas entre des rôles, ni entre des organisations, mais bien entre des personnes, dans toute leur singularité. Dans la plupart des projets coopératifs, si l’œuvre est commune, les motivations profondes de ses auteurs sont toujours uniques, singulières, subjectives. Un collectif est fort s’il est constitué de « je » pleins et entiers. La coopération est par essence intersubjective : elle fait communiquer deux (ou plusieurs) subjectivités. C’est dans cet entre-deux qu’elle se vit et la prise en compte de ces identités subjectives par tous les acteurs est indispensable à la dynamique coopérative. C’est ce qu’Edgar Morin appelle la « compréhension humaine », qui s’attache « aussi et surtout à comprendre ce que vit autrui ».

Pas de coopération sans compréhension humaine. C’est la raison pour laquelle c’est le 1er pilier du Corpus InsTerCoop.

Tenir compte des récursions entre « Je », « Nous » et « Dans »

La manière de vivre la coopération dépend des personnes, dans leur singularité. Elle dépend également du collectif (le « nous ») et du milieu dans lequel s’inscrit l’action collective (le « dans »). Ces trois niveaux sont façonnés à la fois par l’environnement proche et lointain, spatial et social, culturel, géographique et historique, psychologique, économique et philosophique. Chacun interagit sur l’autre et le modifie en profondeur : le collectif transforme les individus, les individus transforment le collectif. L’individu transforme son milieu, qui fait de lui un être différent. Selon Edgar Morin, ces récursions permettent l’autonomie et l’auto-organisation des systèmes. Ces liens récursifs sont le plus souvent non pensés et créent pourtant des manières de faire implicites et des pilotes automatiques, que seuls les signaux faibles peuvent révéler. Les journaux d’itinérance donnent tellement d’exemple de ces récursions.

La compréhension humaine permet de saisir les récursivités, en franchissant les clôtures disciplinaires.

« L’essentiel est invisible pour les yeux »

Nous limitons souvent nos observations aux seules parts visibles et réfléchies : le projet, son contexte, sa structure juridique, ses statuts, ses objectifs, ses livrables, la cartographie des parties prenantes, la gouvernance, les processus de décisions…  Les rouages de la coopération ne se trouvent pas en surface. Aucun marin n’imagine partir en mer sans sa carte marine, où figurent des repères invisibles car immergés, mais dont la prise en compte est essentielle pour naviguer en surface. Apprendre à se saisir de cette dimension non-pensée, non-consciente, implicite est indispensable à la compréhension humaine de la coopération.

La coopération est un projet en soi

C’est la qualité de la relation entre ses auteurs qui fait la réussite d’un projet collectif. C’est pourquoi un projet collectif en cache toujours un autre : celui qui consiste à construire un processus coopératif mature entre ses acteurs. Ces deux projets s’appellent l’un l’autre, ils ont chacun besoin de l’autre pour vivre, ils nécessitent tous les deux attention et investissement. Le premier, le projet coopératif, est le plus souvent à durée déterminée, l’issue du second, le processus coopératif, doit rester indéterminée pour remplir la promesse coopérative.

Dans l’exemple ci-contre, le projet touche plusieurs éléments du système. Derrière chacun de ces éléments, il y a des personnes, en relation les unes avec les autres. Ce sont ces personnes qui font vivre ce relie les éléments du système entre eux. Faire vivre le processus coopératif c’est veiller à la qualité de relation entre les personnes.

Qualité de la relation entre les personnes au sein de ces communautés d’intérêts, entre les personnes entre différentes communautés d’intérêts ; et entre les communautés elles-mêmes. La réussite passe par la reliance et la coopération entre ces personnes et ces communautés. Lorsque l’attention est mise autant à conduire l’action qu’à soigner le processus relationnel entre les acteurs, les projets accélèrent et leurs impacts s’amplifient, grâce au caractère contagieux de la coopération que les chercheurs ont démontré par ailleurs depuis plusieurs dizaines d’années.

La coopération est une compétence dialogique

Une dialogie est l’unité symbolique de deux logiques qui s’appellent l’une l’autre, ont besoin l’une de l’autre et peuvent également s’opposer l’une à l’autre. Deux logiques qui peuvent donc être à la fois complémentaires, concurrentes et antagonistes, en fonction d’un contexte et d’une situation.

Or, les collectifs coopératifs sont toujours traversés par ces logiques complémentaires, concurrentes et contradictoires. C’est dans l’espace entre ces logiques, dans l’entre-deux, que va naître la coopération. Ainsi, le développement d’aptitudes coopératives est lié à la capacité d’entrer dans un processus d’apprentissage qui permet, dans une situation donnée, de voir les signaux faibles, révélateurs des logiques à l’œuvre ; de se libérer du jugement de valeur que l’on porte sur l’une ou l’autre de ces logiques, et d’en discerner leur complémentarité, concurrence, ou antagonisme éventuel ; de penser ce qui pourrait être fait pour faire vivre les deux logiques, habiter l’entre-deux et trouver l’harmonie.

9 temps pour nourrir le processus coopératif

Le 9 temps qui nourrissent le processus coopératif font partie de l’ensemble du Corpus InsTerCoop. Ils servent à la fois le pilier compréhension humaine, le développement de la maturité coopérative et l’ingénierie de processus. Ils sont détaillés dans cet article.

12 principes d’action de la coopération

De la même façon, les 12 principes d’action de la coopération sont au service des 3 piliers du Corpus. Ils sont détaillé dans cet article.

Conclusion

La maturité n’est pas un slogan, mais un chemin, à la fois simple et exigeant, qui nécessite compréhension, appropriation, intégration et pratique sans cesse renouvelée. C’est un chemin d’émancipation, de développement du pouvoir d’agir et du vivre ensemble.

[1] Eloi Laurent, L’impasse collaborative – Pour une véritable économie de la coopération, Les Liens qui Libèrent, 2018

L'InsTerCoop est un laboratoire d’action-recherche sur le processus coopératif, et un centre de ressources et de ressourcement au service des personnes, des organisations et des territoires pour croître en maturité coopérative et faire de la coopération une source de développement et d’épanouissement.