Explorons la théorie de non-action
Dans le cadre des Journées Françaises de l’Evaluation des 18 et 19 Juin 2015, l’Institut des Territoires Coopératifs présente une contribution lors d’un atelier « orienté recherche » qui traite du recours aux « théories d’action ». Faut-il s’en affranchir pour « libérer » les démarches évaluatives ? Ou au contraire les mobiliser pour analyser et interpréter la production des effets des politiques évaluées au travers de schémas de causalité qui formalisent les relations de cause à effet ?
Contribution aux Journées de la Société Française d’Evaluation – 18/06/2015
Il est fréquent que les politiques publiques ne produisent pas les effets escomptés, ou seulement partiellement, tout en produisant d’autres effets, parfois inattendus et pas nécessairement souhaitables.
La théorie de l’action vise à identifier « l’ensemble d’hypothèses qui sont faites par les financeurs et les gestionnaires pour expliquer la façon dont l’intervention va produire des impacts et va atteindre son objectif global. La théorie de l’action est constituée des relations de cause à effet reliant les réalisations, les résultats et les impacts » (Toulemonde, 1997).
Indéniablement, la formalisation de la théorie d’action est indispensable pour mener une évaluation. Nous pensons qu’elle devrait même être réfléchie, explicitée et documentée en amont, lors de la définition de la politique publique, afin d’être intégrée à la conception du plan de mise en œuvre de ladite politique. L’évaluation permettrait alors, ce qui malheureusement rare, de reconstruire ou d’invalider la logique d’action, voire d’une faire émerger une autre, par l’observation et la prise en compte des faits sur le terrain.
Pour autant, et même dans ce cas méthodologique extrêmement favorable au vu des pratiques actuelles, nous voyons une limite à l’exercice. La théorie d’action met en évidence les relations de cause à effet, mais ne s’attache pas nécessairement à identifier les mécanismes sous-jacents à cette relation. Or, si ceux-ci peuvent engendrer l’effet escompté, d’autres mécanismes sont également présents et engendrent des effets autres que l’effet attendu. Prenons un exemple fréquemment cité: la présence d’un radar de vitesse engendre une baisse de la vitesse. Le mécanisme sous-jacent est la peur du gendarme. Pour autant, d’autres mécanisme tels que l’intolérance aux contraintes peuvent provoquer d’autres effets comme le sabotage (la destruction du radar) ou la fuite (le changement d’itinéraire). La cause elle-même peut également avoir d’autres effets: la peur du gendarme peut provoquer le coup de frein brutal et accidentogène à l’approche du radar. Sans prise en compte des mécanismes sous-jacents, la théorie d’action risque de n’éclairer qu’une partie de la scène, alors que l’action se situe en dehors du champ des projecteurs. Le questionnement sur les zones d’ombre peut amener à revoir le bien-fondé de l’action. De plus, les mécanismes dont nous parlons sont souvent des mécanismes psychologiques et comportementaux dont la compréhension requiert des compétences particulières.
Nous pensons qu’un apport méthodologique est à chercher du côté des pratiques de conduite de projet de changement pour explorer ce que nous appellerons les théories de contre-action (sabotage…) ou de non-action (résistance…). Les praticiens spécialisés dans l’analyse des résistances au changement disposent d’outils méthodologiques simples pour distinguer ce qui incite un acteur à agir, ou au contraire à favoriser le statu quo. Nous proposons de porter à connaissance de la communauté des évaluateurs un processus de questionnement destiné à éclairer les zones d’ombre qui peuvent freiner, voire anéantir, la mise en œuvre d’un projet. Nous proposons d’illustrer ce propos par des exemples concrets pour voir comment ce questionnement peut enrichir la théorie d’action initiale.
Appliquée à l’évaluation, nous pensons que ce processus permettrait de mettre en évidence les « théories de non-action », responsables de bien des échecs dans la mise en œuvre de politiques publiques.